Ici, la morale est présentée dès le premier vers : peu importe les arguments, peu importe la vérité et la raison, si le plus fort en veut au plus faible, rien ne l'arrêtera et rien ne l'empêchera d'arriver à son but. Derrière les apparences d'un débat argumenté, la violence des puissants s'exerce toujours au détriment des faibles.
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait.
"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité.
— Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère Que je me vas désaltérant
Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
— Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
— Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? Reprit l'Agneau, je tette encore ma mère.
— Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
— Je n'en ai point.
— C'est donc quelqu'un des tiens :Car vous ne m'épargnez guère, Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.